Méfiance de la population de Butembo et Beni vis à vis de la riposte contre la pandémie de la Covid-19: du déjà vu pendant la riposte contre Ebola

Nene Morisho Mwana Biningo

La pandémie de la Covid-19 s’est rapidement propagée à l’échelle mondiale pour devenir une menace pour la santé publique mondiale. Au 10 Janvier 2022, la RDC avait déjà enregistré, officiellement, 81719 cas positifs au Covid-19 et 1 225 décès, soit un taux de létalité d’environ 1.4%. Après la ville de Kinshasa, la province du Nord Kivu et en particulier la ville de Goma est la deuxième la plus touchée par cette pandémie en RDC[i]. Et, comme il existe d’importants échanges entre cette ville et les villes de Butembo et de Beni, il est facile de comprendre que ces dernières soient elles-mêmes affectées. Bien au-delà, la ville de Beni et celle de Butembo sont liées à l’Ouganda par la frontière de Kasindi qui l’une des plus importantes portes d’entrée de la RDC.

A Beni et à Butembo, la pandémie de la Covid-19 a remplacé l’épidémie Ebola, une maladie qui a décimé des familles entières dans un contexte de forte méfiance de la population vis à vis des autorités politiques et sanitaires.

Il ressort des discussions avec différentes couches de la population (leaders religieux, autorités administratives, jeunes, etc) que les différentes pratiques observées dans la riposte contre la pandémie de la Covid-19 amènent la population à être sceptiques par rapport à l’existence de la maladie. Autant les comportements des agents de la riposte contre Ebola avaient fini par révolter la population et l’amener à douter de l’existence même de la maladie, autant certaines pratiques courantes dans la riposte contre la pandémie de la Covid-19 constituent un handicap dans la lutte contre cette maladie. Certaines de ces pratiques sont analysées dans les lignes qui suivent :  

  • Dans l’imaginaire des nombreux habitants de Beni et Butembo, le test rapide est faux, et ne donne pas des vrais résultats. Il n’y a donc que les tests PCR qui peuvent donner des bons résultats. Les personnes interviewées assurent qu’ils tirent cette information des médecins et infirmiers qui sont en charge de faire le test PCR. Le fait que les experts supposés maitriser mieux que quiconque contribuent à le discréditer ne peut que créer des doutes de la population par rapport à ce système.
  • La stigmatisation non seulement de la personne qui est malade mais aussi de toute sa famille : les familles affectées sont considérées par les voisins comme cherchant un soutien financier ou matériel de la part des ONGs : ceci est un héritage de la riposte contre Ebola où les familles des malades recevaient un soutien de la part des ONGs (surtout un soutien en nourriture), « nos enfants dans le quartier étaient critiqués par leurs amis, disant qu’ils cherchent l’argent en se déclarant qu’ils sont positifs à la Covid-19 » ; « mêmes les membres de notre église croyaient qu’on mentait à propos de ma maladie, pour avoir de l’argent ». Il est donc clair que l’héritage Ebola a, dans une certaine mesure, contribué à créer un environnement non propice à la lutte contre cette pandémie.
  • Le manque de confiance entre hôpitaux d’une même ville : il est courant que les résultats réalisés dans un hôpital ne soient pas acceptés dans un autre hôpital, et que les malades transférés d’un hôpital à un autre soit obligé de refaire le test Covid-19, qui parfois se révélaient être négatifs alors qu’il était positif dans le premier hôpital. A Butembo par exemple, les résultats du Centre de santé Kyangike étaient refusés à l’hôpital Général de Kitatumba. Bien plus, les tests réalisés dans certaines villes ne sont pas acceptés dans d’autres villes. Un pasteur interviewé à Butembo a par exemple confirmé que les résultats du test qu’il avait fait à Butembo n’avait pas été acceptés à Goma si bien qu’il était obligé de se soumettre localement à un autre test. Cette discrimination des résultats selon les lieux du test est étrange si tant est vrai que Butembo et Goma sont des villes d’une même circonscription sanitaire, et mieux elles sont toutes deux, des villes d’un même pays. Il va sans dire que ce traitement discriminatoire a contribué à renforcer le doute de la population par rapport à l’existence de la maladie. A Butembo comme à Beni en tout cas, la population la considère comme une opportunité d’affaire pour les autorités politico-sanitaire.
  • Le prix élevé du test conduit à la méfiance à l’égard de la maladie. Même les leaders religieux n’y croient pas. Certaines personnes interviewées estiment par exemple qu’il est incompréhensible que les couts du test de certaines maladies plus graves que la Covid-19 soient moins chers que celui de la Covid 19. Il est clair qu’un travail de sensibilisation n’a pas été suffisamment fait pour expliquer le bien-fondé du test et les facteurs son coût relativement élevé de celui-ci.
  • Certaines personnes estiment aussi que leur expérience avec le test n’est pas bonne: le temps d’attente dans les hôpitaux pour faire ce test est long, le délai d’attente des résultats (48h) est aussi long, le malaise ressenti au moment du prélèvement nasal ou dans la gorge amène aussi à rejeter le test, quel qu’il soit.
  • Le coût élevé de la Covid-19 conduit la population à dire que c’est une maladie des riches. Le coût élevé du test affecte aussi le business et le mouvement de la population : le coût de 40 USD du test limite les mouvements de la population à l’intérieur et à l’extérieur du pays ; limite le business.

De ce qui précède, il ressort que quatre éléments importants contribuent à limiter la confiance de la population dans le système de riposte contre la pandémie de la Covid-19, et en particulier contre le système de test. Il s’agit notamment : du coût élevé du test et qui varie d’une ville à une autre, des différents types de test existants et dont certains ne sont pas acceptés partout, de la mauvaise communication autour de la maladie, et de la stigmatisation des personnes dont les tests sont positifs. A quelques différences près, ces éléments sont presque similaires à ceux observés lors la riposte contre Ebola et  qui avaient alimenter la resistance de la population contre cette riposte. Tout indique donc certaines leçons apprises lors de la riposte contre Ebola ne sont pas encore suffisamment capitalisées dans la riposte contre la pandémie de la Covid-19. Il est donc important :

  • qu’un effort d’identification des forces et faiblesses (leçons apprises) lors de la riposte contre la maladie à virus Ebola soit fait par les acteurs impliqués dans le riposte contre la pandémie de la Covid-19. Des nombreuses études à ce sujet existent, dont notamment celui réalisé par Nene et al (2020) et Park et al. (under review).
  • un travail de sensibilisation et de formation des acteurs de la riposte doit être fait pour se rassurer que ces laçons apprises sont comprises par tous et que les erreurs commises dans la riposte contre Ebola seront évitées tout au cours de cette riposte contre la pandémie de la Covid-19.

(English Version)


Morisho, Nene, Josepha Kalubi, Sung-Joon Park, and Martin Doevenspeck. 2020. “Same but Different? A Comparison of Ebola Virus Disease and Covid-19 After the Ebola Epidemic in Eastern DRC (2018–20).” African Argumentshttps://africanarguments.org/2020/04/24/same-but-different-a-comparison-of-ebola-virus-disease-and-covid-19-after-the-ebola-epidemic-in-eastern-drc-2018-20/

Park, Sung-Joon, Hannah Brown, Kennedy Wema Muhindo, Matthias Borchert, Nina Gobat, Nina Gobat, Nene Morisho. [under review]. “‚Ebola is a business‘: An analysis of the atmosphere of mistrust in the tenth Ebola epidemic in the DRC.” Critical Public Health

[i] https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/covid19-rdc-r-publique-d-mocratique-du-congo-mise-jour-0