Gestes-barrières et test de dépistage de Covid-19: lassitude ou inconscience au marché de Kahembe de la ville de Goma ?

Fabien Abdoul-Masilya et Mumbere E.Lubula.

En date du 28 septembre 2021, on a visité le marché Kahembe. Situé au Nord du quartier éponyme, ce marché est des plus importants centres d’activités commerciales » de la ville de Goma.  Ce marché est quotidiennement fréquenté par les « petits commerçants rwandais et congolais dans le cadre du commerce transfrontalier. Des produits vivriers congolais et rwandais y sont régulièrement échangés. La forte fréquentation de ce marché implique que ses visiteurs, marchands et clients, peuvent en sortir avec des maladies, notamment celle à forte propension de contamination, comme la covid-19. La menace est donc permanente.

Dès lors, il est étonnant que l’observation des gestes- barrières ait été systématiquement relâchée sur ce marché.  La distanciation socio-physique est tout simplement non applicable dans ce marché quotidiennement noircie de monde comme une fourmilière. Le lavage des mains est inopérant comme la fourniture de l’eau et du détergeant est toujours attendue de la générosité des organisations non gouvernementales. Au reste, on trouve dans le marché Kahembe, quelques dispositifs pour le lavage des mains. L’un, offert par le « Projet de Facilitation du Commerce dans la région des Grands-Lacs, PFCGL» est enrouillé et a déjà été ouvert sur l’un de ses flancs qu’il ne peut plus rien contenir. Une ferraille à jeter !! L’autre, manifestement une charité de International Alert, est devenue sec et emboué (voir photo).  

Le marché ne possède aucun dispositif de prélèvement de la température sur aucun de ses points d’entrée. Somme toute, l’administration du marché s’en cache le visage, elle ne peut rien organiser pour la sécurité sanitaire des marchands sur lesquels elle prélève pourtant d’importants revenus en termes des redevances. Aucun sens de redevabilité, devrait –on dire.

En ce qui concerne le test de dépistage de la covid-19, celui-ci n’est pas obligatoire, il ne conditionne pas l’accès au marché ; il relève de l’appréciation personnelle de chaque visiteur du marché. Au fond, les congolais dont le pays n’obligent rien à ce sujet comme ils ne traversent pas la frontière pour un autre pays, ne s’y intéressent même pas. Une marchande qui s’approvisionnait en tomate au Rwanda dit avoir fait le test rapide au Rwanda même où il coûte moins cher qu’au Congo : j’avais payé l’équivalent de 5$ alors que chez nous, le même test vaut 10$ à 20$. Mais, « je ne peux plus répéter cette expérience car j’avais eu l’impression que l’introduction du stick dans mon nez peut me faire d’autres maladies, et même affecter mon cerveau ; je m’étais senti saoul pendant quelques instants, ce n’était pas du tout agréable. »

Au Rwanda, par contre, les commerçants transfrontaliers, comme d’ailleurs les autres travailleurs vivant à Rubavu et travaillant à Goma, sont soumis au test rapide toutes les deux semaines. Personne n’y échappe car le résultat du test conditionne la traversée de la frontière pour le Congo. C’est implacable. Il n’en reste pas moins que le Rwandais eux-mêmes se plaignent de son coût et de la gêne qu’il implique. « Nous sommes fatigués ! » lâchent une commerçante rwandaise, visiblement excédée. « J’envisage d’ailleurs de m’installer définitivement à Goma. », poursuit-elle ! Cette attitude traduit, c’est vrai, de la lassitude de se faire :

  • introduire l’écouvillon dans le nez sans qu’un jour on ait été déclaré malade, cela pourrait passer pour du harcèlement sanitaire ;
  • décaisser un montant régulier de 5000 frw , et dépenser du temps pour le test, chaque deux semaines, c’est assez pour un commerçant à faible fonds de roulement et dont, peut-être, la survie de la famille dépend de la recette journalière.

Clients et vendeurs sont manifestement lassés du port du cache-nez. La plupart reconnaissent les avoir rangés dans leurs poches ou sacs-à-mains plutôt que sur le visage. « Je le trouve étouffant », souffle une dame ! « De toute manière tout peut tuer, la maladie et le cache-nez », renchérit une autre ! « Dieu seul nous protège » dit encore une autre comme pour conclure ! Qu’importe ! La covid-19, qui, aux yeux de beaucoup dans ce marché, passe pour de l’opprobre, est déjà vaincue, et les gestes-barrières passent pour un comportement artificiel, superflu. Un affront à Dieu qui a déjà conjuré la maladie par ici. Ceux qui s’y appliquent sont des « européanisés », les non-pauvres ! Au fond, peu de gens croient en cette maladie en ce milieu, repères des gagne-petit au niveau d’instruction plutôt moyen.

A les considérer tous, ces coup-de-cœur, ces références à Dieu, cette lassitude si généralement exprimée tant par rapport aux gestes-barrières que par rapport au test de dépistage lui-même, traduisent une certaine inconscience, et sinon, une inconscience certaine de l’utilité de la riposte contre la pandémie.  Ici, le test n’a de sens qu’obligé ! c’est une corvée dont ces commerçants et commerçantes voudraient vite s’affranchir.  Le test PCR n’est pas envisageable, il est coûteux, son coût de 40$ vaut, pour certains commerçants et commerçantes, la valeur de leur fonds de roulement.

On dénombre cependant quelques témoignages des commerçants victimes de Covid-19, soit pour en avoir souffert, soit pour avoir perdu un proche parent ou un ami. Mais cela ne suffit pas pour qu’ils se convainquent de la gravité de la menace. L’imaginaire collectif est que la pandémie est sinon un artifice du moins un complot, un complot du reste déjà conjuré.

(English Version)

En date du 28 septembre 2021, on a visité le marché Kahembe. Situé au Nord du quartier éponyme, ce marché est des plus importants centres d’activités commerciales » de la ville de Goma.  Ce marché est quotidiennement fréquenté par les « petits commerçants rwandais et congolais dans le cadre du commerce transfrontalier. Des produits vivriers congolais et rwandais y sont régulièrement échangés. La forte fréquentation de ce marché implique que ses visiteurs, marchands et clients, peuvent en sortir avec des maladies, notamment celle à forte propension de contamination, comme la covid-19. La menace est donc permanente.

Dès lors, il est étonnant que l’observation des gestes- barrières ait été systématiquement relâchée sur ce marché.  La distanciation socio-physique est tout simplement non applicable dans ce marché quotidiennement noircie de monde comme une fourmilière. Le lavage des mains est inopérant comme la fourniture de l’eau et du détergeant est toujours attendue de la générosité des organisations non gouvernementales. Au reste, on trouve dans le marché Kahembe, quelques dispositifs pour le lavage des mains. L’un, offert par le « Projet de Facilitation du Commerce dans la région des Grands-Lacs, PFCGL» est enrouillé et a déjà été ouvert sur l’un de ses flancs qu’il ne peut plus rien contenir. Une ferraille à jeter !! L’autre, manifestement une charité de International Alert, est devenue sec et emboué (voir photo).  

Le marché ne possède aucun dispositif de prélèvement de la température sur aucun de ses points d’entrée. Somme toute, l’administration du marché s’en cache le visage, elle ne peut rien organiser pour la sécurité sanitaire des marchands sur lesquels elle prélève pourtant d’importants revenus en termes des redevances. Aucun sens de redevabilité, devrait –on dire.

En ce qui concerne le test de dépistage de la covid-19, celui-ci n’est pas obligatoire, il ne conditionne pas l’accès au marché ; il relève de l’appréciation personnelle de chaque visiteur du marché. Au fond, les congolais dont le pays n’obligent rien à ce sujet comme ils ne traversent pas la frontière pour un autre pays, ne s’y intéressent même pas. Une marchande qui s’approvisionnait en tomate au Rwanda dit avoir fait le test rapide au Rwanda même où il coûte moins cher qu’au Congo : j’avais payé l’équivalent de 5$ alors que chez nous, le même test vaut 10$ à 20$. Mais, « je ne peux plus répéter cette expérience car j’avais eu l’impression que l’introduction du stick dans mon nez peut me faire d’autres maladies, et même affecter mon cerveau ; je m’étais senti saoul pendant quelques instants, ce n’était pas du tout agréable. »

Au Rwanda, par contre, les commerçants transfrontaliers, comme d’ailleurs les autres travailleurs vivant à Rubavu et travaillant à Goma, sont soumis au test rapide toutes les deux semaines. Personne n’y échappe car le résultat du test conditionne la traversée de la frontière pour le Congo. C’est implacable. Il n’en reste pas moins que le Rwandais eux-mêmes se plaignent de son coût et de la gêne qu’il implique. « Nous sommes fatigués ! » lâchent une commerçante rwandaise, visiblement excédée. « J’envisage d’ailleurs de m’installer définitivement à Goma. », poursuit-elle ! Cette attitude traduit, c’est vrai, de la lassitude de se faire :

  • introduire l’écouvillon dans le nez sans qu’un jour on ait été déclaré malade, cela pourrait passer pour du harcèlement sanitaire ;
  • décaisser un montant régulier de 5000 frw , et dépenser du temps pour le test, chaque deux semaines, c’est assez pour un commerçant à faible fonds de roulement et dont, peut-être, la survie de la famille dépend de la recette journalière.

Clients et vendeurs sont manifestement lassés du port du cache-nez. La plupart reconnaissent les avoir rangés dans leurs poches ou sacs-à-mains plutôt que sur le visage. « Je le trouve étouffant », souffle une dame ! « De toute manière tout peut tuer, la maladie et le cache-nez », renchérit une autre ! « Dieu seul nous protège » dit encore une autre comme pour conclure ! Qu’importe ! La covid-19, qui, aux yeux de beaucoup dans ce marché, passe pour de l’opprobre, est déjà vaincue, et les gestes-barrières passent pour un comportement artificiel, superflu. Un affront à Dieu qui a déjà conjuré la maladie par ici. Ceux qui s’y appliquent sont des « européanisés », les non-pauvres ! Au fond, peu de gens croient en cette maladie en ce milieu, repères des gagne-petit au niveau d’instruction plutôt moyen.

A les considérer tous, ces coup-de-cœur, ces références à Dieu, cette lassitude si généralement exprimée tant par rapport aux gestes-barrières que par rapport au test de dépistage lui-même, traduisent une certaine inconscience, et sinon, une inconscience certaine de l’utilité de la riposte contre la pandémie.  Ici, le test n’a de sens qu’obligé ! c’est une corvée dont ces commerçants et commerçantes voudraient vite s’affranchir.  Le test PCR n’est pas envisageable, il est coûteux, son coût de 40$ vaut, pour certains commerçants et commerçantes, la valeur de leur fonds de roulement.

On dénombre cependant quelques témoignages des commerçants victimes de Covid-19, soit pour en avoir souffert, soit pour avoir perdu un proche parent ou un ami. Mais cela ne suffit pas pour qu’ils se convainquent de la gravité de la menace. L’imaginaire collectif est que la pandémie est sinon un artifice du moins un complot, un complot du reste déjà conjuré.