8.2.2022

Butembo et Beni, villes rebelles par rapport à la Covid-19

Par Innocent Mpoze

De 12 novembre au 19 novembre 2021, nous avons séjourné, en équipe des chercheurs de Pole Institute, à Beni et à Butembo pour la collecte des données relatives au diagnostic de la maladie à coronavirus (covid-19). Bien qu’on y remarque quelques individus qui observent les gestes-barrières, une grande partie de la population ne donne pas l’impression de croire à l’existence de cette pandémie.  Les échanges et l’observation aidant, ont permis de relever les éléments suivants comme explications de cette attitude rebelle collective par rapport à la pandémie actuelle dans ce qu’il convient d’appeler « le pays nande ».

Méfiance de la population, une conséquence d’une gestion relâchée du contexte de violence par l’autorité publique

Bien qu’elle y ait déjà emporté des vies humaines, la maladie à coronavirus (covid-19) reste perçue par une partie de la population de Butembo et Beni comme une invention politicienne pour son extermination massive. Ici, l’on sait voir que, pour certains, il s’agit d’une simple grippe qui, en aucun cas, ne peut faire l’objet de panique. Pour d’autres, par contre, il ne s’agit que d’un leurre pour conduire la population au mouroir que sont les hôpitaux dont l’état global ne garantit aucunement une bonne prise en charge des patients. Pour plus d’un dans l’une et l’autre ville, parler du coronavirus revient justement à soutenir ses inventeurs, qui sont les acteurs politiques congolais en particulier et les complices de ce que Jean Ziegler appelle « les maîtres du monde », dans leur sale ambition d’extermination massive de la population nande.

En fait, ayant traversé un long cycle des violences et tueries à grande échelle, le peuple nande a développé un imaginaire accusateur. Celui-ci consiste à voir dans toute action gouvernementale, un moyen pour son effacement sur le sol congolais.  Pour le commun nande, il est incompréhensif que le gouvernement n’arrive pas à sécuriser cette partie du territoire national. Et cela conditionne sa lecture et son positionnement face aux décisions prises par les gouvernants. Comme nous l’a signifié un taximan à Beni : « nous avons longtemps souffert des affres de tueries. Nous n’allons pas accepter que le gouvernement continue à nous élimer en créant une maladie qui n’existe pas chez nous. » Ce positionnement populaire préside à la retenue généralisée de la communauté face aux gestes-barrières et, façonne un esprit rebelle par rapport au test covid, au motif que, de toutes les personnes retenues dans des hôpitaux suite à cette pandémie, personne n’en revient vivante.

Diagnostic de covid-19 ou stratégie d’attraction de l’assistance internationale

Dans ces deux villes, beaucoup sont ceux qui soutiennent que les différents cas de décès ne sont rien qu’une ruse sanitaire avancée dans l’objectif de s’attirer la sympathie des financements et divers appuis extérieurs. Pour la communauté nande, il n’est pas envisageable de fréquenter les hôpitaux en ces temps de covid-19 pour ne pas être faussement diagnostiqué positif à la Covid-19. « Le personnel soignant gonfle le nombre des cas positifs pour s’attirer la générosité financière de la communauté internationale. Nous ne croyons pas du tout à ce qu’ils nous disent sur cette maladie imaginaire. », nous a dit une vendeuse des tomates à Beni.  Telle étant l’atmosphère dans laquelle évolue la riposte, les populations locales choisissent l’automédication en recourant à des pratiques tradi-thérapeutiques au grand dam du protocole proposé par l’Autorité sanitaire via l’organe chargé de la riposte en RDC.

Suivi imparfait des malades hospitalisé, un facteur de découragement de la population

Dans la plupart des cas, il est décrié le manque de suivi des malades lorsqu’ils sont hospitalisés. En fait, dans les hôpitaux, l’on constate une carence criante de kits de test ou de médicaments ; les patients sont traités avec relâchement si bien que certains qui, de l’hôpital où ils sont pensionnaires, recourent toujours à des pratiques tradi-thérapeutiques.  Par ailleurs, l’accès à la nourriture reste aussi, pour la plupart des malades, une véritable gageure dans un contexte économique rendue morose par la pandémie elle-même.

Cependant, bien que les motifs avancés par les communautés semblent absurdes et infondés, il convient toutefois de ne pas garder silence face à l’inexistence et/ou l’imparfaite prise en charge des malades de covid-19 au sein des hôpitaux. Pour peu qu’on réfléchisse sur la manière dont les cas positifs sont pris en charge, l’étonnement est de constater que les malades récupèrent les résultats de leur test et retournent chez eux pour se soigner eux-mêmes et malheureusement sans aucun suivi médical. Même ceux qui ont un minimum de suivi, ce dernier (le suivi) est assuré par des membres des familles œuvrant dans le domaine de santé. Aussi longtemps que cette situation perdure, le risque de propagation de la maladie demeure élevé car personne ne prendra le courage de faire son test et moins encore d’accepter tout discours sur la gravité de la maladie.

Conclusion

Poussé jusqu’à une culture de rejet total des entreprises gouvernementales, la manière dont les stratégies Covid, en particulier le test Covid, sont accueillies par le peuple nande peut être source d’une situation difficilement maitrisable sur le plan sanitaire dans ces deux villes, bien à court, moyen et long terme. Considérant la nécessité d’une rupture immédiate entre ce comportement rebelle face au test Covid, une approche holistique de la situation générale de ces deux villes permettra d’enrayer ce comportement. D’abord, l’urgence se pose au niveau du déformatage de cet imaginaire populaire qui ne voit que du mal dans les actions gouvernementales. Cela, serait peut-être, propre aux organisations de la société civile à travers des sensibilisions médiatiques qui empruntent toutes les voies de communication (modernes comme traditionnelles). Ensuite, et cela vaut pour la crédibilité politique, il serait utile que les politiques quittent la zone de confort du pouvoir pour engager une politique de dialogue avec le corps social. En effet, penser la politique d’en haut serait une mauvaise route dans le contexte de Beni. La seule route à suivre, ici, ne peut être que celle d’une politique publique où les stratégies de sortie des crises sont pensées et définies avec le corps social. Par ailleurs, pour renouer la confiance entre le personnel soignant et le peuple, la dimension éthique dans prise en charge des malades mérite l’attention première. Cela touche à la fois la manière de se comporter face aux malades et les moyens mis en œuvre pour leur prise en charge.